Les Archives Nationales conservent un document fort intéressant sous la forme d’un dossier intitulé “Société anonyme pour l’exploitation d’un spectacle nommé Diorama”. Ce dossier comporte trois pièces qui sont: un acte notarié passé pardevant Me J.B.A. Clairet, en date du 25 avril 1821, entre Daguerre et Bouton pour “l’établissement d’un monument d’exposition d’effets de peinture (visible pendant le jour) sous la dénomination de Diorama”, un brouillon de lettre du Ministère de l’Intérieur aux signataires de la lettre suivante, signé de Simon aîné, en date du 28 mai 1821, par procuration des sieurs Bouton-Daguerre et soumettant un statut à l’approbation du ministre, avec demande d’autorisation d’émettre des actions [Archives Nationales, F°12, 6832].
Ce spectacle, le Diorama, allait régner sur Paris, attirer à chaque renouvellement des tableaux la grande foule en présentant ce que les puristes de l’époque estimaient une peinture un peu froide, peut-être, mais qui, néanmoins, par la finition du travail, n’en constituait pas moins une attraction de choix. Il n’est pas question ici de faire un historique de la présentation ni des difficultés qui surgirent entre Daguerre et Bouton vers 1830. Autre chose semble devoir retenir l’attention de l’historien, et il semble bien que personne, jusqu’à présent, n’ait songé à réfléchir sur un rapprochement de dates qui cependant s’impose. Daguerre, poursuivant ses innombrables expériences après le décès de M. Niépce était parvenu, entre 1833 et 1838 au plus tard, à obtenir par le procédé qui porte son nom, la reproduction permanente des images de la chambre noire. Un premier essai d’exploitation, par souscription, échoua complètement: les éventuels commanditaires n’avaient pas confiance. Daguerre songea à frapper à d’autres portes, et celle d’Arago s’ouvrit devant lui. Le savant astronome comprit l’importance de la découverte, offrit son appui moral et son autorité de député pour présenter l’affaire sur le plan national au ministre et aux Chambres législatives. Cela se passait à la fin de l’année 1838. Au début de janvier 1839, devant l’Académie des Sciences, Arago faisait le premier pas pour tenir parole, sans pourtant s’avancer sur le secret du procédé. La nouvelle parcourut le monde. L’élan était donné. Les plus grands noms de la science se rencontrèrent chez Daguerre qui ne faisait aucun mystère de ses résultats, mais restait très ferme sur la manière de les obtenir. Rappelons que le vote final entérinant l’achat par le Gouvernement de la découverte n’intervint à la Chambre des Pairs que fin juillet 1839, précédant la divulgation publique du 19 août. Or, le 8 mars 1839, tout ce qui constituait la fortune matérielle de Daguerre, le Diorama, flambait avec ses décors. L’édifice était détruit et, ce qui est plus grave encore, l’atelier où il effectuait ses recherches, attenant à l’immeuble de l’actuelle rue de la Douane (caserne du Prince-Eugène, place de la République). J’ai voulu dépouiller la presse quotidienne, et cela m’a permis d’apprendre des choses bien imprévues. Cet évènement a été relaté ainsi: “Aujourd’hui, vers une heure, le feu a éclaté dans le bâtiment occupé rue des Marais par le Diorama. On pense qu’il s’est manifesté d’abord dans la salle dite du Boulevard, mais jusqu’à présent, on n’est pas bien fixé sur les causes du sinistre. “La flamme s’élevait à une incommensurable hauteur, et une dévorante pluie de brandons rouges se précipitait sur les maisons voisines. Un pan de mur de cinquante pieds environ, menaçait ruine, et pour empêcher que, dans sa chute, il incendiât le roulage Piquot, les pompiers dirigeaient le jet de leurs machines sur la partie extérieure pour le faire tomber dans le foyer même. Des ouvriers, hissés sur la toiture du roulage, aidaient la manoeuvre que trois pompiers, à cheval sur le chéneau, dirigeaient. Tout à coup, au milieu d’un cri de terreur et d’anxiété dans la foule, le mur s’ébranla et, après une seconde d’oscillation, s’écroula dans la direction extérieure, enveloppant dans un nuage de décombres, d’étincelles et de fumée les courageux travailleurs qui avaient voulu combattre et prévenir ce malheur. “En peu d’instants, des secours étaient arrivés de toutes parts. Les pompiers des postes voisins étaient accourus avec leurs pompes. Des détachements de la garde municipale, de la garde nationale et de la troupe de ligne s’étaient rendus également sur les lieux. Malgré la promptitude des secours, le Diorama n’a pu être préservé. En moins d’une demi-heure, il était entièrement détruit. “Un morne silence avait suivi ce cri d’effroi et, quand la fumée, se dissipant par degrés, permit de distinguer les objets au milieu de cette scène de désolation, ce fut avec un sentiment d’admiration et de vive sympathie que l’on vit réapparaître, reprenant leurs travaux avec une nouvelle activité, deux des pompiers qui venaient d’être précipités par la chute de la toiture. Le troisième, le capitaine Blet, de la 3e Compagnie, était en ce moment retiré de dessous les décombres, et la foule silencieuse ouvrait respectueusement ses rangs à ceux qui, après l’avoir chargé sur une civière, prenaient la direction de l’hôpital Saint-Louis, où devaient lui être donnés les premiers secours. “Toute l’action des travailleurs fut alors dirigée dans le but de préserver les propriétés voisines, et notamment l’établissement de roulage fort important, situé seulement à quelques pieds de distance de l’établissement incendié. Par précaution toutes les marchandises qui se trouvaient dans les magasions de roulage ont été transportées dans la rue, où elles ont été placées sous la garde des sergents de ville et des gardes nationaux. “Personne n’a été tué. Deux personnes seulement paraissent avoir été blessées: un sapeur-pompier, qui a eu la jambe fracturée, et un employé de roulage. Un brave ouvrier, Charles Maréchal, garçon du roulage, demeurant rue de Bondy, 6, était blessé au même moment et on le transportait faubourg Saint-Martin, 66. “On ignore la cause première de ce sinistre: le feu, à ce qu’il paraît, aurait pris dans une salle où l’on travaillait à un tableau représentant l’intérieur de Sainte-Marie-Majeure. “P.S. – On nous communique à l’instant quelques autres détails: “La personne qui était chargée de la recette des billets venait d’arriver à son poste lorsque, tout à coup, elle fut avertie que le feu était dans la salle. En effet, le courant d’air communiqué par l’ouverture de la porte d’entrée le faisait éclater en ce moment de toutes parts; toutes les vitres pétillaient et bientôt livraient passage à d’effrayantes colonnes de flammes et de fumée.
Ces documents sont extraits des journaux “La Presse” du 9 et du 11 mars et de la “Gazette des Tribunaux”.
On a pu avancer, à l’époque, une perfide hypothèse que, malgré la “daguerréophobie” que l’on m’a parfois reprochée, je ne retiendrai pas: Daguerre aurait laissé brûlé son Diorama pour “forcer la main” au Gouvernement. Ruiné, mais présentant une découverte appuyée par la haute autorité des savants de son époque, et dont le porte-parole (parlementaire) était Arago, il pouvait tirer son épingle du jeu. Le rôle de l’historien est avant tout d’être objectif. Je me suis informé et précisément, ce jour-là, Daguerre n’était pas au Diorama. Il était en visite chez S.F.B. Morse… très occupés l’un et l’autre à se présenter leurs découvertes révolutionnaires. Je crois que, pour souligner cet évènement, rien ne saurait mieux faire que de citer un passage d’une lettre que Morse adressait à son frère, en date du 9 mars, extraite de l’édition de sa correspondance, parue en 1914 à New York:
origine: Le Photographe, 20 Mars 1962, [Tome 52, pp.141-5 ](série “Ceci s’est passé en…”)
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[transcripteur Claude-Alice Marillier]